En Saône-et-Loire, la manufacture de collants Gerbe renaît sous pavillon chinois et sous le sceau du luxe à la française.
Qui a dit que l’industrie textile française appartenait à un glorieux passé ? Pas Gerbe, en tout cas. Le fabricant de collants installé à Saint-Vallier, près de Montceau-Les-Mines, illustre au contraire à merveille le (léger) rebond industriel qui s’observe en France.
Capitalisant sur des savoir-faire uniques, avec une volonté de développer des produits à forte valeur ajoutée, et bénéficiant depuis deux ans d’un actionnariat chinois compréhensif, l’entreprise envisage l’avenir avec une relative confiance.
Gerbe a longtemps fait figure de fleuron industriel. Fondée par Stéphane Gerbe dès 1897 à Saint-Vallier, près de Montceau-Les-Mines (Saône-et-Loire) et développée fortement par son fils, Paul, l’entreprise a employé jusqu’à 800 personnes, durant les décennies 1970 et 1980 ; elle a négocié avec talent le virage du marché, lorsque les bas passaient de mode, remplacés par des collants bien plus pratiques.
Las, sortant du giron de la famille Gerbe en 1984 et changeant ensuite six fois de mains en 30 ans, son activité se délite, avec deux dépôts de bilan à la clef. « Nos confrères nous tenaient pour morts », note Philippe Genoulaz, son directeur depuis deux ans.
En 2015, c’est un tandem d’investisseurs chinois, Monsieur Yang et sa fille, qui reprennent la société, et le recrutent. Détenant l’intégralité du capital, le duo asiatique fait mentir les mauvaises langues qui ne voient dans les investissements chinois que promesse de prédation.
Au contraire, le groupe Yang-France-Tianci pour ses activités françaises - qui s’appuie financièrement sur ses métiers en Chine, dont notamment l'hôtellerie et la construction immobilière, répond présent et accompagne la renaissance de Gerbe. Après un investissement initial de 3 millions d’€, largement dépassé depuis même si le montant exact n’est pas révélé, les Yang se révèlent des partenaires de premier plan, impliqués dans la gestion opérationnelle et dans le développement à long terme.
« Dans ma longue carrière, j'ai travaillé avec des investisseurs français, américains, britanniques, suisses et japonais. Les Anglais se sont révélés les plus voraces, ne pensant qu’à la profitabilité immédiate. Tout le reste, ils n'en avaient rien à faire : si une entreprise fait moins de 5% de profitabilité, elle ferme. Point. Les Asiatiques, au contraire, ont une approche large, à 360°, qui intègre la dimension mondiale et laisse le temps au développement », estime Philippe Genoulaz.
Ensemble, le dirigeant opérationnel et ses investisseurs fourbissent une stratégie qui valorise les forces de l’entreprise : la qualité de ses produits, et son image encore associée au luxe à la française. C’est d’abord en Asie, où ce dernier conserve un fort pouvoir de séduction, que Gerbe concentre ses efforts : ouverture d’une filiale à Taïwan et de huit points de vente en gestion propre en Chine. En 2017, Gerbe réalise déjà 21 % de son chiffre d’affaires sur place.
Pour renforcer son image, l’entreprise renoue avec ses partenariats historiques - mais confidentiels -, avec la haute couture. Ce sont souvent des collants Gerbe que l’on voit gainer les jambes des mannequins sur les podiums des défilés de mode…
Les premiers résultats sont rien moins que spectaculaires : en deux ans et grâce aux 73 salariés expérimentés, la production a été multipliée par quatre et, si le chiffre d’affaires demeure secret défense, Gerbe reprend ses investissements. Ceux-ci demeurent ciblés. « J'ai l'obligation de concentrer mes ressources là où elles doivent aller, essentiellement vers le canal de distribution numérique qui mobilise l'essentiel de mes investissements », précise Philippe Genoulaz.
L’outil industriel, vieillissant, reste l’oublié. « Ce n'est pas une priorité immédiate. Nos machines ont des qualités techniques qui nous permettent de produire des pièces de très bonne factuare, ce que nos concurrents ne savent plus faire. Les machines électroniques modernes sont certes polyvalentes et rapides, mais moins précises. Elles utilisent 28 ou 32 aiguilles quand nos machines “historiques” Cotton de Reading en associent 66, permettant une finesse de tissage et une solidité sans égal », décrit cet ingénieur textile de 56 ans, formé au sein de la défunte Ecole Supérieure des Techniques Industrielles et des Textiles de Villeneuve d’Ascq, dans le département du Nord.
S’appuyant sur cet outil industriel, devenu rareté (il ne reste que quelques machines ce type en Europe), Gerbe développe désormais en interne ses collections. Deux exemples : des bas 100 % cachemire et des collants cousus au fil d’or 24 carats, chacune des pièces étant vendue au delà de 200 €…. Un choix qui se révèle aujourd’hui payant.